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Photo du rédacteurNgoufo Gangnimaze

Les origines du Songo



Enfants jouant au Toguz Kumalak, homologue du Songo au Kazakhstan

Le Songo est un jeu de stratégie très populaire au sein de la grande ethnie Ekang, présente au Cameroun, au Gabon, en Guinée équatoriale et au Congo. Nous avons présenté ses règles, ses vertus mathématiques. Passons à présent à ses origines. Nous nous appuierons pour cela sur un témoignage recueilli par Michel MIZONY dans son article "Les jeux stratégiques camerounais et leurs aspects mathématiques" paru en 1971 dans les annales de la faculté des sciences du Cameroun. Bonne lecture!


  ESSOMBA Luc est un vieil Ewondo de quatre-vingt-dix ans environ, habitant près de Ngomedzap sur la route de Lolodorf; et voici ce qu'il nous raconte.

  Le Songo est un jeu Béti qui n'existait pas dans l'ancien temps. Son origine remonte au temps du père de mon grand-père, ESSOMB-NDANA, qui, étant le chef de village, passait son temps à ne rien faire. Un jour, cependant, il appelle son frère et ses esclaves, et il leur dit: "Essayons de trouver un jeu qui puisse à la fois nous distraire et nous faire rivaliser d'intelligence de sorte que, lorsqu'il y aura un palabre à trancher, nous puissions rivaliser de sagesse et découvrir à qui donner tort. Ceux-ci tombent d'accord et répondent: "Tu es le chef, qui connaît beaucoup de choses; puisque tu nous commandes, si tu nous ordonnes de faire quelque chose, nous te rendons service. " Comme un chef ne doit pas travailler, il appelle alors l'un de ses esclaves et lui ordonne de creuser quatorze trous en deux rangées, au milieu de la cour du chef; c'est le lieu où l'on se réunit pour les palabres. A peine l'esclave a-t-il fini de creuser un trou que le chef en personne met derrière lui cinq cailloux dans chaque trou achevé. Le frère du chef suggère au contraire que l'on mette six cailloux pour que le nombre de cailloux par joueur soit pair. Mais le chef refuse. Après avoir déposé les cailloux, le chef appelle son frère et lui dit: "Dzam étarigi tobo dzom mod, ezu so bo, dzom nda mod" (traduction: Une chose doit être d'abord la chose de quelqu'un avant d'être la chose de la famille). "Donc frère, si la mort me surprend, c'est toi qui sera le premier à pleurer; viens faire le premier tour de jeu. " Șon frère se réjouit d'être beaucoup plus considéré que le reste de l'assemblée. On leur apporte deux chaises en lianes qu'on place de chaque côté du jeu. Le chef dit : "L'un de nous va jouer le premier, puis l'autre va continuer. On met un caillou par trou et non deux, puis on "bouffe" les cailloux si leur nombre est compris entre deux et quatre dans un trou, si cela se présente dans n'importe quel trou de l'adversaire." Le frère répond: "Moi, je suis déjà très vieux, si quelqu'un me saisit par la tête, je meurs; de ce fait, on ne peut me saisir que par les pieds. Aussi je n'admets pas que l'on ramasse les cailloux du premier trou de chaque camp". Le chef reprend : "Le but du jeu est de l'emporter sur l'autre par beaucoup d'habileté; de ce fait, si je te coupe la tête, tu ris- ques de perdre. Au bout de longues discussions, la règle du frère du chef est adoptée (elle subsiste inchangée chez les Ewondo, jusqu'à ce jour). Le frère du chef demande : " Après avoir bouffé tous les cailloux, qu'en ferons-nous ? Si je bouffe un nombre de cailloux qui est supérieur au tien, c'est parce que je te domine par les idées, alors tu me seras redevable d'un but. Nous sommes déjà très vieux, il serait honteux pour moi de te devoir un but si j'ai  bouffé moins de cinq cailloux, alors que le jeu comporte quatorze trous, donc soixante-dix cailloux. Si tu me bats de cette manière, je te serai redevable de six buts, car il y a sept trous dont un est toujours vide au cours du jeu." Le chef dit ensuite: "Non seulement nous ne devons pas bouffer les cailloux du premier trou, mais de plus, il est interdit de mettre deux fois un caillou dans un trou de son propre camp".

Lors de la création du jeu, on jouait sur le sol, mais un bon sculpteur, le vieux Omgba SEME, creusa un morceau de bois d'ébène pour pouvoir jouer. Depuis, l'instrument du jeu devient transportable. Ainsi, s'il y a un vieux qui ne peut pas se déplacer pour jouer, vous pouvez prendre votre instrument et le rejoindre, soit dans sa case, soit à l'endroit où il se trouve dans la cour. Dès lors, on joua sur un jeu d'ébène, mais avec des cailloux qui étaient trop gros et ne faisaient pas de bruit. Il fallut donc remplacer les cailloux. Alors on trouva une solution: Ce fut d'utiliser les graines de l'arbre appelé Ezezam à la place des cailloux. Le jeu devint agréable quand vous jouez et que vous êtes certain de bouffer beaucoup de pions de l'adversaire, vous laissez tomber la dernière graine dans le trou, elle fait du bruit, signe de votre réussite, et vous dites: "Eh, nga e mod nyo ane ai mod a mvus" (ie. Oh, cet homme n'a-t-il personne derrière lui ?). Parfois, on demande au joueur qui va perdre : " Ola ai za, ola ai za." (i.e. Tu jouais donc avec qui, tu jouais donc avec qui). C'est une des nombreuses manières de se moquer d'un joueur. Les instruments de jeu des chefs et des vieux vénérables étaient enduits d'huile avec soin; ainsi, ils conservaient leur noirceur. A cette époque, le jeu du Songo était réservé aux vieux ayant au moins l'âge de celui-ci (Luc EssOMBA, à cet endroit du récit, désigne du doigt une des nombreuses personnes qui écoutent, la personne en question a environ soixante ans). Les enfants et les adultes ne jouaient pas, le jeu du Songo étant noble. Toi-même (il s'adresse au jeune Ferdinand ESSOMBA qui recueille les paroles) tu sais que les enfants n'ont peur de rien quand ils trouvent un vieux qui perd beaucoup de pions, ils se mettent à rire et à se moquer de lui; c'est pourquoi on leur interdisait d'assister au jeu. De nombreuses années après, afin d'accroître le plaisir du jeu, on creusa des branches de raphia pour fabriquer l'instrument. Le bruit que font les graines est plus agréable sur le raphia que sur l'ébène et on est content de jouer. « Quand vous battez votre adversaire, vous pouvez lui dire : Ma ndaman te mó mama a zeze" (ie. Je gâte mes mains pour rien). En outre, il y a un chant que l'on dit à haute-voix pour que les spectateurs l'entendent: "Nga, e mod nyo ane ai mod a mvus ooo. Ma samza e mgbébé dugu" (i.e. Cet homme n'a-t-il donc personne derrière lui ? Je le secoue comme un squelette de "dugu" ). Ou encore, on dit en sifflotant: "Wa a dza a na" (i.e.: Sais-tu qu'il faut "bouffer" des graines ?). Donc, lorsque l'on entend toutes ces chansons, on a le désir d'apprendre à jouer. * La moquerie ne s'arrête pas là, et on sait que, lorsqu'il y a trois instruments de jeu dans le village, il y a également trois paquets de plumes; tout joueur qui perd des buts, doit porter le nombre correspondant de plumes sur la tête. Dans certains villages, cette habitude subsiste encore. Une bonne connaissance du jeu du Songo dépend d'une pratique régulière et d'une certaine habileté à calculer. Je m'arrête là aujourd'hui. »

Un vieil Ewondo nous a raconté son histoire du Songo. En fait, chaque village où est pratiqué ce jeu a son histoire du Songo. Mais l'essentiel reste le même. On ne peut rien dire de certain sur l'origine du jeu et cependant tous les vieux sont d'accord pour affirmer qu'il vient du Sud.


Si cette plongée dans la passé du Songo vous fait envisager un bel avenir avec lui, nous avons de beaux tabliers portables et artisanaux sur notre boutique en ligne. A vous de jouer!

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